De fer, d'eau et de feu... Les moteurs hydrauliques des martinets de forge, en Savoie et autres contrées...
DMAJ 6/07/2001
    Forges... 
 
 

Des premières fabrications du fer on sait qu'il pouvait être d'origine météoritique, puis de cueillette de nodules d'oxydes métalliques jadis déposés au fond des mers et mis à jour par l'érosion. Leur couleur ocre foncé et le fait d'être pesants ne pouvant pas manquer d'attirer l'attention des premiers métallurgistes. Les bas fourneaux étaient des constructions éphémères faites de glaise ou de pierre sur les lieux même des gîtes ferreux. Le forgeage fait "à bras" avec un outillage naissant.
 

 ....  martinets  (ou moulins à fer) 



Apparition des "martinets" en Savoie et en Dauphiné 

Au Moyen Âge, vers le (XII*) XIIIe siècle , le travail du fer s'est mécanisé avec l'apparition en Savoie et Dauphiné des martinets - ce qu'on nommera "moulins, moulines à fer " dans le sud-ouest - qui souvent réutilisaient l'emplacement d'un moulin existant pour bénéficier d'une force hydraulique éprouvée. Le travail enfin rendu moins pénible avec la mise en oeuvre de l'énergie de l'eau, cela va permettre d'augmenter la taille des fours, puisqu'on aura bientôt une ventilation mécanique plus régulière et plus efficace, donc une production accrue. A ce stade, se nomme "martinet" un établissement installé sur un cours d'eau, où, à partir de minerai on fabrique du fer au bas fourneau, un marteau mu par l'eau servant à épurer le résultat de la réduction du minerai. 

( * les chercheurs ne s'accordant pas sur le XIIe siècle, il reste prudent de dire "au XIII e"..) 

Les "martinettes de ferratière", ou "martinettes" sont d'abord de petits etablissements  utilisant de petites roues à palettes de 1m à 1m30 de diamètre entrainant un marteau léger, dans lequel on forge et répare les outils aratoires. Le pays comptait 70 martinettes en 1812 (Etat des martinettes du Département du Mont- Blanc),  Ces martinettes n'avaient qu'une activité saisonnière, hors du gel, l'été pour la réparation des outils aratoires.  Plus tard cela deviendra de petites usines fabriquant les outils taillants, la clinquaille. C'est ce qu'on nommera les  taillanderies.

Vers la fin du XVIe siècle, ces établissements ont gagné en importance, et on sait y faire l'acier directement par décarburation au bas fourneau. La Savoie, de pauvre condition, va tirer bénéfice du passage de métallurgistes chevronnés mandés de la Province de Bergame - dans l'actuelle Italie du nord - vers le Dauphiné. 



Les Forges
 

Le sens du mot "forge" est variable : il y eut d'abord  les "martinets" de la métallurgie directe, plus tard la "forge à convertir" ou "affinerie" réalisait l'affinage de la fonte dans la métallurgie à deux temps. On parle aussi des "grosses forges" : situées dans un bâtiment attenant à une affinerie elles produisent le métal destiné aux divers usages de l'industrie, le fer dit "marchand". 
Les diverses  "forges à oeuvrer", "forges à façonner", vont désigner tout un chapelet d'usines de transformation du "fer marchand" en objets utiles. 
Forge de fourbisseur

 

Au cours des siècles le vocabulaire courant glissera sans arrêt sur "martinet", mot à la signification  fluctuante ; la définition première est celle de "marteau mu par l'eau". 
Les premiers martinets furent ceux utilisés dans l'opération de cinglage de la loupe de fer dans l'antique métallurgie directe ; Puis avec le passage à la métallurgie à deux temps, le mot désignera l'opération de cinglage de la loupe (ou massot, mazelle, renard...) mais dans une affinerie. A l'usage "martinet" désignera l'affinerie elle même (XVIIIe S.). 

"Martinette de ferratière" ou "martinette" désignant alors une taillanderie, usine à fer utilisant principalement comme machine-outil un ou plusieurs martinets...

Il n'est pas toujours facile de s'y retrouver quand sur un même site se trouvaient souvent côte à côte : haut fourneau (fonderie), affinerie, grosse forge, taillanderie, et aciérie. 
 
 

Si l'on part sur l'hypothèse de l'achat d'un minerai prêt à l'emploi, c'est à dire trié, grillé, lavé dans les diverses installations de la mine : patouillet, boccard, lavoir, halde, regraine, four à griller... (à ce stade je fais grâce du jargon pour nommer le personnel et son travail...)
 

Une Forge  (au XVIIIe s.) c'est donc, regroupés en un même lieu, un haut fourneau, et une (forge d') affinerie, et une (forge de) taillanderie, et dont il faut encore détailler la composition en artifices utilisés :
 

Le haut fourneau, ou fonderie :

Trompes et haut fourneau bergamasque
Le haut fourneau, de type bergamasque en Savoie jusqu'au XVIIIe, 
haut de 4 à 7 mètres, en forme de U et adossé à un talus, avec une paroi frontale destinée à être démolie pour l'entretien périodique. L'intérieur a la forme de deux pyramides - aplaties en rapprochant deux bases - accolées pour former un ventre d'environ 1m40 de coté.

En Savoie ce sont des trompes à eau qui fournissaient l'oxygène, 
le vent

Une coulée de gueuse avait lieu tous les deux ans, ou plus, et entre temps il fallait refaire du charbon de bois et du minerai. Le produit fini se présentait sous forme de longues barres de fonte de section triangulaire : les gueuses.

Coulée et manutention des gueuses

Le chargement du haut fourneau se faisait par le haut. 
Les mesures :
pour le charbon : la manne = 40 à 50 kg
pour le minerai : la benette = 45 kg
Préchauffe de 15 jours. 
Puis on chargeait 2 mannes de charbon pour 3 à 4 benettes de minerai.
 

Le personnel :

Le Maître de forge
Valets de forge ou "goujeards"
Martineurs
 

La forge d'affinerie, ou affinerie, ou "martinet" qui comprend :
- fourneau d'affinerie (on parle des feux d'affinerie) pour décarburer la gueuse. 
- trompe à eau pour produire le "vent"
- le pile loupe : il s'agit du "gros marteau" (un gros martinet) utilisé pour "cingler" la "loupe" ou le renardou mazelle   (la fonte à l'état pâteux au sortir du four d'affinage)
- un marteau (un gros martinet) pour piler les scories et crasses de four
Le produit fini est le fer brut sous forme de lingots, massots, qui partent vers les "grosses forges" et les aciéries.
 
L'affinage du renard Le travail dans une affinerie

La gueuse est partiellement refondue dans le fourneau d'affinage - c'est la décarburation - puis  on rassemble le produit en une masse compacte, c'est le renard ou la loupe (au centre) qui sera compacté au martinet ou "pile-loupe" (sur la droite) pour obtenir du fer.

(La teneur en carbone est de moins de 0,10% dans le fer, de 0,10 à 2% dans l'acier et de 2,5 à 6% dans la fonte)


 
La grosse forge
- fourneaux 
- trompes
- gros marteaux mus par l'eau
Les produits de la grosse forge c'est le "fer marchand" : tôles, massots, lopins, qui partent vers les taillanderies, les armureries, fenderies, tréfileries, etc.
 
La taillanderie, ou martinette :
- la forge (four)
- la trompe à eau pour aviver la forge
- le martinet de taillanderie, le plus souvent double : une batterie
- les bacs pour la trempe

Mais à coté de cela il peut y avoir aussi des affineries qui traitent la gueuse en provenance d'autres établissements ; et qui peuvent aussi fabriquer de la taillanderie dans une annexe. (simple non ?)


La production va progressivement se diversifier et se spécialiser : fonderies, affineries, grosses forges restant groupées, mais fournissant : fenderies, tréfileries, fonderies, aciéries, taillanderies, épéeries, forges maréchales, marchands de fer, "clinquailleries"
Fin XVIIIe les "forges à l'anglaise" introduisent l'usage du laminoir, en remplacement des gros marteaux dans les grosses forges, pour faire des tôles et des profilés. 

A l'usage, les synonymes  "martinet, forge, fusine, fourneau" sont devenus des toponymes pour désigner des lieux liés à une activité métallurgique.  Près d'Orelle on trouve un lieu-dit Fusine, toponyme d'origine italienne indiquant qu'il y avait là une fonderie. 
 


Forgeron (lat : ferrarius, faber ; vieux fr.: ferrolier) : 

On pense immédiatement au plus proche de nous, le maréchal ferrant,  qui forgeait et posait les fers des chevaux (on ferrait aussi les bœufs de trait), et il entretenait les outils, les charrues, la serrurerie. Son outillage comprenait la forge, un soufflet de cuir, (plus tard un ventilateur de forge), une enclume, des pinces, des marteaux, et des bacs pour la trempe. Mais si l'on remonte dans l'histoire, le forgeron a été un initié qui maîtrisait les processus de fabrication du fer depuis le minerai jusqu'à l'objet fini. On attribuait aux forgerons des pouvoirs occultes : ils pouvaient tenir le rôle de sorcier, de rebouteux. 

"on dit souvent du métier de forgeron qu'il se vole avec les yeux".
 

Forge : (fabrique,  fabrica , faverge, faurie) : 

La forge est le foyer, ou le four, où le forgeron chauffe la matière à forger. Forger c'est travailler au marteau une pièce de métal rougi au feu de la forge. Désigne aussi l'ensemble des Arts du fer et du feu, et l'endroit où ils se pratiquent. On emploie "forge" ou "martinet" pour désigner une "affinerie" ou une "grosse forge A ces subtilités du jargon s'ajoute la distinction à faire entre différents types d'établissements ; en effet sur les mêmes sites se trouvaient rassemblés côte à côte : haut fourneau, fonderie, affinerie, grosse forge et taillanderie ; constituant de véritables complexes industriels. Les forges s'implantaient la plupart du temps non loin des "minières", et de forêts pouvant fournir le charbon de bois, mais surtout : sur un cours d'eau à fort débit. Voir des toponymes évocateurs (et synonymes) comme : fusine, martinet, fourneaux, fabrique, faverge.
 

Taillandier (franco-prov. : ferratier) : 

C'est un forgeron qui fabrique des outils tranchants, ou taillants, à partir de barres d'acier dans la forge de taillanderie. Son travail consistait a forger au martinet les lopins (ou des ébauches) préalablement chauffés dans un four (900-1200°C) pour réaliser la pièce désirée. Le travail se fait en une succession d'étapes, du lopin à l'outil fini, par plusieurs "chaudes" (passages au four), et autant de séquences différentes de martelage, réalisant chacune une opération bien définie.
 

Taillanderie :

Fabrique d'outils aratoires et "taillants", tout ce qu'on nommait la "taillanderie" : pelles, bêches, socs et versoirs de charrue, haches, et la quincaillerie. Et aussi des pièces pour les moulins, la charpente. Utilisant un martinet, gros marteau animé par des cames entraînées par une roue à eau. (ces martinets sont souvent doubles, et l'on parle alors de "batterie", et les têtes ont des masses de 50 à 300 kg). En Savoie, on trouvait ces petits ateliers artisanaux jusque dans des contrées reculées : Maurienne, Tarentaise, Bauges, et au voisinage de la sidérurgie savoyarde et de ses minières (Les Hurtières, La Praz, Fourneaux). 70 martinettes inventoriées en 1812.  Le XIXe siècle connut un essor des taillanderies : on en comptait plus de 100, avec une forte concentration dans le canton de La Rochette (pays de tradition métallurgique : mines de la vallée de l'Huile, au voisinage immédiat de l'autre sphère métallurgique : le Pays d'Allevard en Dauphiné). Plus tard, en 1931, on dénombrait encore en Savoie : 22 taillandiers, 7 fabricants de charrues, 8 commerces d'outils agricoles. Après la première guerre mondiale, les centrales électriques barrant peu à peu le moindre torrent de montagne ; les taillanderies furent contraintes de se moderniser (celles qui le purent) en remplaçant les martinets en bois du XIXe par des martinets américains à moteur électrique. Beaucoup d'anciens martinets ont ainsi disparu, sauf quelques uns qui sont parvenus jusqu'à nous. Recouverts de bric-à-brac et de toiles d'araignées, de beaux vestiges demeurent dans l'ombre d'ateliers centenaires, tombés dans un oubli qui les a sauvé de la démolition. 
...

(casserie : pour l'anecdote, j'ai trouvé ce mot assez joli pour qu'il mérite une explication. Dans une casserie on fabrique des casses, ce sont des poëlons en fer battu, d'où nos casseroles. )
 




Les éléments de la métallurgie
XV-XIXe siècles (graphique)Voir graphique
 
 
 
" Pour être un bon forgeron il faut piçer trois fois par jour dans le charbon"
 

(Relevé sur la forge de l'écomusée du Prieuré de Salagon, Mane, Alpes de Haute Provence)


 

 

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