Le Martinet

ou encore maillot, mail : c'est un gros marteau actionné par une roue à cames tournant
avec une roue de moulin. Il en existe de différentes sortes dont le plus connu parmi 
ceux parvenus jusqu'à nous est le martinet des taillanderies :
 

Batterie de la forge de l'Hyen (Isere)
Fig 2 : Batterie de la Forge de l'Hyen (taillanderie), Montagnieu, Isère
(de type "terminal)
Les martinets se classent selon le mode d'action de leurs cames :

Le martinet frontal, nommé encore grand marteau ou "marteau à l'anglaise",  les cames travaillent au soulèvement face à la tête du marteau. Le poids de la tête varie de 2000 à 4000 kg, vitesse : 100 à 60 cps/mn.

- Le martinet latéral , dit marteau de forge ou marteau à drôme à soulèvement, gros marteau, "marteau à l'allemande" (fig. 3), où le point d'action des cames se situe sur un coté du manche entre la masse du marteau et son axe de pivotement,  les cames agissent du bas vers le haut, à la remontée le manche va terminer sa course contre le ressort , forte piece de bois situéeau-dessus du manche. 
La tête pèse de 300 à 1000 kg, vitesse :  70 à 200  cps/mn
Utilisé pour l'affinage, et le corroyage.

Martinet de la forge d'Aube (Orne)
Fig.3 : Gros martinet de la forge d'Aube (Orne)

 Le Maka du Musée de Bouillon (Ardennes belges)
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Le poids important des têtes des types latéral et frontal - plusieurs centaines de kilos -  faisaient qu'ils ne pouvaient fonctionner qu'à une cadence lente, avec un nombre de cames restreint, quatre ou cinq en général. Leurs cames sont aussi nommées "sabots". 
Ils étaient employés soit pour le travail de grosse forge, soit pour l'affinage et le cinglage des loupes. 


Martinet à drôme dans une affinerie au XVIIIe siècle, Encyclopédie Diderot & D'Alembert
Fig.4 : Cinglage des loupes dans une affinerie au XVIIIe siècle

Le marteau est soutenu, vu les énergies mises en jeu, par une forte charpente de bois de chêne, parfois composé de colonnes de pierre et de traverses de chêne dans le cas des martinets des taillanderies, profondément enchassées dans le sol  : c'est l'ordon ou l'emplantement. Des fouilles récentes dans d'anciennes forges mettent en évidence les soubassements des martinets, composés d'une savante construction de fort madriers de chêne entrecroisés et profondément enterrés. 
L'enclume faisant face aux coups du marteau est fixée sur un socle de bois lui aussi profondément enchâssé dans le sol et de bois "debout" : c'est la chabotte.
 

- Le martinet terminal, ou ordon à bascule, c'est le type le plus répandu ; il a été parfois encore utilisé dans certaines usines de taillanderie jusque vers 1960, avoisinant les martinets "américains" ou Bradley qui avaient commencé de les supplanter dès 1900. 

Martinet à platiner (fabrique de faulx)

Fig.5 : Martinet de platinerie - Usine de Faux de Pont-Salomon ; Photos et remerciements : Musée de la Faulx de Pont-Salomon (Loire).

 

Ici, à l'inverse de ce qu'on observe dans le frontal, les cames appuient du haut vers le bas sur l'extrémité opposée à la tête, au delà de l'axe de pivotement. Une pièce forgée est rapportée sur l'extrémité arrière du manche c'est le  mentonnet.

Ce martinet servait en taillanderie à l'étirage et au platinage des petits fers, au raffinage des aciers, au forgeage d'armes et d'outils aratoires. Le poids du marteau peut varier de 150 kg à moins de 40 kg, selon l'usage, et sa vitesse de 200 à plus de 300 coups/mn. 
Les martinettes* : ces petits etablissements utilisaient un marteau terminal léger entraîné par de petites roues à palettes de 1m à 1m30 de diamètre ; Ces petites forges n'avaient qu'une activité saisonnière, hors du gel, l'été pour la réparation des outils aratoires. (* 70 en Savoie en 1812 d'après "l'Etat des martinettes du Département du Mont- Blanc")

Fig.6 : Tourillon, plumart et roue à cames d'un martinet,
Pont Salomon (Loire).

Le ressort et les cames d'un martinet construit vers 1910

Bague à cames, mentonnet et ressort d'un martinet construit vers 1910 (Seyssel)
Historique et fonctionnement

Les martinets sont attestés par des textes anciens depuis le XIIIe siècle en Dauphiné et en Savoie (1315 : martinet à Allevard ; 1359 : martinet des Chartreux à St-Hugon, Comté de Savoie), où très tôt ils ont permis d'abord l'affinage puis le travail du fer grâce à la force de l'eau, et ce parfois jusqu'au début du XXe siècle (de fort rares exemplaires sont encore en service - comme à Pont-Salomon - ou ont été conservés) . 
Ces engins ont peu évolué au cours de leur longue période d'utilisation, du Haut Moyen Age jusqu'au début du XXe siècle. Les derniers martinet à drôme* encore en usage dans les usines à fer du XIXe siècle sont trés peu éloignés de leur représentation dans l'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert au XVIIIe siècle . La  figure 4  montre le martinet d'une affinerie au XVIIIe : on voit que les cames agissent latéralement et l'on remarque le ressort : pièce de hêtre ou de frêne située au-dessus du manche et contre laquelle vient frapper l'extrémité du manche à la levée (en remontant). 
[ * Dans le martinet latéral des affineries, la drosme est une forte poutre de chêne d'environ trente pieds de long qui relie la grande attache et les jambes à la petite attache. Le manche passe - fermement calé par des coins en bois dur - dans l'anneau de la hurasse ou hus, ou le clou  (Franche-Comté), pièce forgée  massive qui porte deux pivots s'articulant dans les "boites" , ou "boîtes à clous" solidaires des deux jambes.]  
Il serait faux de penser que le marteau retombe uniquement de son propre poids : ce qui fonctionnerait mais assez mal. Une impulsion en sens inverse de la "levée" est nécessaire pour donner plus d'énergie au coups et pour tenir une  cadence  régulière (et ne pas laisser la came suivante rattraper le manche avant la retombée). C'est le rôle du ressort ou "répondoir" (Dauphiné) contre lequel vient butter le manche en fin de course. Le bon fonctionnement du marteau repose sur le bon réglage du répondoir.

Dans les marteaux de taillanderie l'axe de basculement s'articule entre deux colonnes (en bois de chêne, mais en en trouve aussi en pierre) reliées par de fortes traverses de chêne, cet assemblage étant fermement maintenu par de forts tirants . Le ressort a changé de place pour se positionner à l'arrière et au sol. C'est une plaque d'acier, fixée à la surface de la chabotte du ressort (enterrée), contre laquelle vient buter l'extrémité ferrée du manche après qu'elle eut été violemment poussée vers le bas par une came percuttant le mentonnet. Tout le fonctionnement du martinet repose sur un jeu complexe d'action-réaction, de chocs et d'effets de ressort (biblio : Poncelet) 
Les martinets destinés au  corroyage(biblio : Corbion) frappaient jusqu'à 250 cps /mn avec une masse de 75 à 100 kgs, ceux du  platinage: 250 à 300 cps/mn avec 75-100 kgs ; ceux de l' étirage: 300-350 cps/mn avec 40 à 50 kgs. 
L'arbre est une bille de chêne grossièrement équarrie, de 60 à 100 centimètres de diamètre (~1 m à Charavines) tournant sur des tourillons emmanchés et frettés à ses extrémités : ces tourillons sont libres vers le haut, simplement posés dans le coussinet solidaire du plumart
Les marteaux de taillanderie vont souvent par paires sur le même arbre, 
on parle alors d'une batterie .  Vers la fin du XIXe siècle certaines usines ont parfois adapté une cisaille sur leurs martinets en bois : une bague à excentrique était calée sur l'arbre, entre deux bagues à cames.
Le martinet, comme les roues à eau en bois, doit rester constamment mouillé pour que les différentes pièces gorgées d'eau tiennent bien serrées et calées entre elles ; l'eau sert aussi de lubrifiant,  il faut humidifier sans cesse le bois, aussi parce que  l'alternance humide/sec fait pourrir le bois. A cet effet un réseau de petites canalisations amène le liquide en divers points du mécanisme : arbre, manche, calages des roues à cames. 
Pour pouvoir reparer et refaire rapidement un manche ou un arbre cassé,  les forges tenaient en réserve du bois d'oeuvre,  maintenu immergé dans l'étang de retenue de l'usine (on a retrouvé des trompes en réserve dans le réservoir de l'Usine de l'Oursière des Forges d'Allevard) . L'immersion du bois pendant des années avait dit-on la propriété de le durcir, le chêne étant connu comme imputrescible à l'eau.
Mais les manches de martinet pouvaient rompre à la limite du sec à l'humide, et en général  on ne pouvait prédire la durée de vie du bois. Car bien que réalisés avec les mêmes soins un manche pouvait tenir 6 mois, alors qu'un autre pouvait tout aussi bien casser au bout de deux semaines. Le bois d'oeuvre devait être coupé d'octobre à début mars et dans les derniers quartiers de lune; car en dehors de ces périodes il serait mangé par les vers... (biblio : JOUSSE, L'Art de Charpenterie, 1706)
Pour renforcer le bois d'oeuvre, les mécaniciens  constructeurs de martinets frettaient  arbres et manches de marteaux à l'aide de cerclages d'acier posés à chaud sur le bois ; on peut voir les frettes du manche sur la figure 2 .
Ces mécaniques rustiques nécessitaient un entretien périodique régulier : réfection du calage des bagues, des manches, des marteaux, et des roues. Ce qui garantissait du travail pour longtemps aux mécaniciens-charpentiers, qui étaient le plus souvent des employés à temps plein de la forge.

Très tôt, le sens du mot "martinet" a été élargi au bâtiment qui l'abrite, jusqu'à nommer un lieu, un ensemble de constructions, une usine travaillant le fer ; de tels lieux-dits peuvent avoir été une affinerie, elle même proche d'un haut fourneau. 
 

Cette machine outil n'a cessé d'évoluer* jusqu'aux actuels marteaux pilons en passant par les martinets américains Bradley apparus vers 1900, et leurs copies européennes, apparus en France aux débuts du XXe siècle. D'autres engins apparurent dans les forges fin XIXème siècle : cisailles mécaniques,  moutons à planche, moutons à courroie, pilon à vapeur, turbines hydrauliques, ventilateurs de forge, etc.
(* grâce aux travaux d'ingénieurs mécaniciens du XIXe, comme Benoît FOURNEYRON,  avec son "Brevet pour des dispositions de martinets et marteaux, à transmissions de mouvement légères".  Brevet N° 52440, INPI, Paris, 1861)

Travail au martinet à l'usine de la Gorge  d'Allevard : Remarquer que le forgeron travaille assis sur un siege-balancelle suspendu, ce qui était courant dans les taillanderies du Dauphiné alors qu'ailleurs on préférait un simple tabouret. La balancelle facilitait les mouvements face au marteau, permettant une économie de gestes pour aller chercher "la chaude" dans le four adjacent sans avoir à se lever.

Un des premiers modèles de martinet Bradley vu à l'Exposition du Centenaire (USA)
(Photo, remerciements : Jock Dempsey, "Anvilfire", DEMPSEY'S FORGE, Gladys, VA 24554, USA) Mais nos maîtres de forges firent construire par les grosses forges françaises des marteaux plus ou moins inspirés du modele americain .
Tout récemment j'ai eu la chance de voir travailler un des derniers martineurs au Bradley (Usine Leborgne à Arvillard-Pont-de-Bens, Savoie). Bien évidemment de nos jours les taillanderies se sont modernisées, on ne réalise au Bradley plus que les prototypes, les petites séries ou les commandes spéciales. Mais on fait appel pour cela aux meilleurs compagnons, ils ne sont en effet plus que deux à maîtriser ce savoir-faire, et font la fierté de leur entreprise. Tout le reste de la fabrication est estampé ou laminé, après chauffage dans des fours à haute fréquence perfectionnés. On voit même des robots au travail dans les forges (Leborgne, MétalTemple) remplissant des tâches comme le meulage ou les manipulations répétitives.
Un Bradley de la forge Peronnon à Randens 
(Savoie) (Photo, remerciements : B. Buet &  C. et P. Guihard)
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